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1) Le contexte

La crise économique de 1929 1933 secoue toutes les sociétés européennes. Plutôt que de partager une partie de ses richesses, dans tous les pays le grand patronat finance des organisations fascistes capables d’intimider sinon exterminer les militants syndicalistes et progressistes. La droite, l’Église, l’armée et la police sont traversées par un climat de sympathie vers cette solution autoritaire.

Début 1934, la droite française et ses médias aux ordres lancent une grande campagne de déstabilisation du gouvernement radical. Le 6 février 1934, les ligues d’extrême droite marchent sur le Parlement. Durant les durs affrontements de cette journée, les principaux dirigeants d’Action française (royalistes, principale force de l’extrême droite) ne sont même pas présents. Cela sert de prétexte à des éléments radicaux liés au grand patronat comme Eugène Deloncle pour fonder une autre organisation.

Du Portugal à la Hongrie, de la Norvège à la Grèce, le climat politique de l’automne 1935 pue la peste brune. En septembre 35, le parti nazi proclame les lois antisémites de Nuremberg ; la croix gammée flotte sur le Reich et sur les camps de concentration gérés par les SS qui terminent le génocide de la gauche allemande. Octobre 35 : les troupes de Mussolini envahissent l’Ethiopie. Novembre 35 : le fascisme catholique belge réussit une démonstration de force.

En France, partis de gauche et syndicats ouvriers mobilisent la rue (grande manifestation du 14 juillet 1935) et progressent dans l’opinion. Une bonne partie du grand patronat s’impatiente de ne pouvoir nettoyer cette vermine rouge qui menace les profits ; aussi l’argent ne manque pas aux activistes qui fondent en décembre 1935 le Parti National Révolutionnaire autour d’Eugène Deloncle. C’est particulièrement le cas de 97 membres de la 17ème section (16ème arrondissement de Paris) des Camelots du Roi, une des meilleures troupes de choc de l’extrême droite française.

Quel est l’objectif de ce PNR d’après sa déclaration en préfecture ? « D’organiser une action sociale pour le redressement économique et social du pays et de lutter contre les influences intérieures ou extérieures ou tout groupement qui s’opposerait à la réalisation de ce programme. »

Parmi les animateurs de ce PNR, signalons autour d’Eugène Deloncle : Jean Filliol, Jacques Corrèze, Gabriel Jeantet, Armand Crespin, Aristide Corre, Fernand Jakubiez.

2) Juin 1936 : Le PNR se dissout au profit d’une organisation fasciste secrète : l’OSARN

Pourquoi un mouvement légal comme le PNR a-t-il décidé de disparaître pour se fondre dans une structure clandestine très hiérarchisée ? Seul le rappel du contexte des mois de mai à juillet 1936 permet d’en comprendre les raisons.

1er mai 1936 : Imposantes manifestations ouvrières auxquelles le patronat répond en licenciant ici et là des salariés qui ont chômé ce jour-là.

6 mai 1936 : Le Front populaire sort vainqueur du 2ème tour des élections législatives.

11 mai : Les usines Bréguet du Havre se mettent en grève pour la réintégration de deux ouvriers licenciés pour cause de 1er mai chômé (satisfaction au bout de 24 heures). Jusqu’au 20 mai, un mouvement de grève se généralise sur tout le pays.

24 mai : La manifestation en hommage à la Commune rassemble au chant de l’Internationale 600000 personnes à Paris dont Léon Blum. Celui-ci devient président du conseil le 4 juin, appelant trois femmes au gouvernement.

Pour éviter que l’explosion sociale ne débouche sur un processus révolutionnaire encore plus dangereux, le patronat signe les Accords de Matignon (premiers congés payés, semaine de 40 heures…).

La coupe est pleine pour les 200 familles et pour tous ceux qui veulent casser cette « Anti-France ». Sur qui s’appuyer pour cela ? Evidemment sur les ligues et sur les influents journaux d’extrême droite.

Le gouvernement de Front populaire réagit vite. Le 18 juin, sur proposition de son ministre de l’intérieur Roger Salengro, il dissout les ligues et projette la nationalisation des gazettes fascisantes. La police enquête sur les réseaux d’extrême droite dont le PNR.

Dans ces conditions, les dirigeants du Parti National Révolutionnaire préfèrent dissoudre leur mouvement légal et le fondre dans une structure clandestine : l’Organisation Secrète d’Action Révolutionnaire Nationale. Après l’échec du 6 mai 1934, seule une milice secrète peut apparaître apte dans la mouvance fascisante française à renverser la république. Grâce à cette clandestinité, les liens avec Mussolini, avec le grand patronat et des chefs militaires, avec divers groupes fascisants nationaux et locaux en seront facilités. La création d’une petite armée insurrectionnelle pourra être poursuivie à l’ombre des châteaux et des caves. Quant à la police, elle aura beaucoup plus de mal à obtenir des informations.

3) Les liens de la Cagoule avec le grand patronat

L’Action française perd en juin 36 une partie de ses éléments les plus actifs. Elle se moque dans ses journaux de l’amateurisme et de la folie du secret imprégnant cette OSARN (“des conspirateurs d’opéra comique”) qui accueille ses transfuges. Elle donne à la nouvelle organisation le surnom par lequel elle passera à la postérité (la Cagoule) et à ses adhérents celui de cagoulards.

Aux yeux du grand patronat et des officiers supérieurs prêts à renverser la « gueuse », c’est l’OSARN qui fait le bon choix.

Juillet 1936 : Le coup d’état tenté en Espagne par les généraux putschistes (dont Franco) avec le soutien de l’Eglise, d’une grande partie du patronat et de la droite, renforce la crédibilité d’un projet armé pour protéger la « France traditionnelle » face au socialisme.

Le principal dirigeant de la clandestine OSARN (Eugène Deloncle) est lui-même bien intégré dans le monde des affaires : polytechnicien, ingénieur-expert à la cour d’appel de Paris, administrateur d’une dizaine de sociétés industrielles…

Son meilleur ami se nomme Eugène Schueller, fondateur de la société L’Oréal. Financeur principal de la Cagoule, il accueille dans son bureau les réunions de direction de celle-ci. Sa fille Liliane se mariera avec André Bettencourt (17 ans en 1936), un des activistes de la Cagoule.

Jacques Lemaigre Dubreuil, patron des huiles Lesieur, de Maroc-Presse et propriétaire de gros placements au Printemps finance la sortie du journal national.

A Clermont-Ferrand, Pierre Michelin et une bonne partie de l’encadrement supérieur s’impliquent dans la Cagoule.

Parmi les 200 familles, notons encore les parfums Coty, les ciments Lafarge, les peintures Ripolin, Louis Renault…

4) La Cagoule, une machine de guerre

Sa structure présente un aspect très militaire.

La revue L’Histoire a présenté dans son numéro 159 un excellent résumé sur la question : « A la base, la cellule ou groupe de combat de sept à douze hommes pourvus d’un fusil-mitrailleur Schmeisser, un fusil semi-automatique Beretta, un fusil de guerre, deux fusils de chasse, des armes légères et des grenades… trois cellules forment une unité, trois unités un bataillon, trois bataillons un régiment, deux régiments une brigade, trois brigades une division ». Même si les effectifs de l’OSARN proprement dite ne paraissent pas avoir dépassé 3000 hommes sur Paris plus 3000 en province, cela représente cependant une force militaire certaine. Chaque cellule familiarise ses hommes au maniement de leurs armes, aux techniques de combat de rue, aux informations utiles pour le grand jour où ils prendront le pouvoir.

« Même modèle militaire au niveau de l’état-major qui se divise en quatre bureaux. Le 1er bureau a une fonction de direction et de discipline… Le 2ème bureau ou service de renseignements, dirigé par le docteur Félix Martin, collecte et recoupe toutes les informations nécessaires à la bonne exécution du coup d’état : itinéraires des différentes cellules, plans des ministères, de l’Elysée et des appartements de certains ministres, moyens de défense du Palais Bourbon, armement des communistes… Le 3ème bureau veille à l’entraînement des nouvelles recrues et doit mettre sur pied le plan d’insurrection. Le 4ème bureau s’occupe du transport, du matériel et du ravitaillement des troupes, ainsi que d’un service ambulancier et médical ».

Le secret constitue le principal atout de survie de l’OSARN. Chaque adhérent prête serment de fidélité, d’obéissance et de secret absolu au groupe. Chaque adhérent prend un pseudonyme. Des signes de reconnaissance, des phrases mots de passe permettent d’établir sans risque les liens nécessaires. Le fichier central est codé. Le cloisonnement des groupes va également contribuer à la longévité de la Cagoule : en principe, chaque membre ne connaît que son supérieur direct.

La Cagoule développe le sentiment d’appartenance de ses adhérents par des rites initiatiques fortement marqués par le mimétisme :

• la cagoule comme le Ku Klux Khan (exemple de Nice)

• le serment de fidélité, bras droit levé, comme les fascistes italiens et allemands

• la devise Ad majorem Galliae (pour la plus grande gloire de la France), imitation du jésuite Ad majorem Dei gloriam.

Son uniforme comprend veste de similicuir, culotte de cheval, casque de l’armée.

5) La Cagoule, sa direction et sa galaxie de structures de masse

Le Comité directeur de la Cagoule ne comprend que cinq à six membres : Eugène Deloncle, son frère Henri Deloncle, Jacques Corrèze, Jean Filliol, Gabriel Jeantet (plus le général Duseigneur). Discussions avec d’autres groupes d’extrême droite, construction de l’organisation, alliances ou accords avec l’Italie mussolinienne, Espagne franquiste et Allemagne nazie, achats d’armes, finances, opérations spéciales passent par eux.

Dans l’état d’éclatement et d’absence de perspectives que connaît la nombreuse extrême droite française en 1936 1937, cette direction cagoularde réussit à démultiplier ses forces en intégrant des chefs de réseaux sans que les adhérents de ceux-ci en soient informés.

Trois groupes sont caractéristiques de cette hégémonie de la Cagoule en province :

• le Groupement militaire patriotique à Toulouse qui assure les liens avec l’Espagne franquiste

• les Chevaliers du glaive de Joseph Darnand et François Durand de Grossouvre à Nice qui assurent le trafic d’armes avec l’Italie mussolinienne.

• l’Union des enfants d’Auvergne de François Méténier, influente parmi les ingénieurs et le personnel d’encadrement des usines Michelin de Clermont-Ferrand

Au niveau national, le principal relais de l’OSARN est constitué par sa vitrine légale : L’Union des Comités d’Action Défensive officiellement créée en novembre 1936 sous la direction du général Edmond Duseigneur assisté du duc Pozzo di Borgo venu des Croix de feu.

Parmi les objectifs déclinés par l’UCAD dans sa déclaration en préfecture, notons celui-ci : S’efforcer de combattre la confiance trop absolue en un développement sans frein de la démocratie dont la limite géographique est le communisme

L’UCAD chapeaute par ailleurs le Centre d’information et de coopération, le Cercle d’études nationales (animé par Armand Crespin) et le Comité de rassemblement antisoviétique (de Marcel Bucard).

6) La Cagoule, son implantation et ses liens dans l’armée

La Cagoule comprend un nombre important d’officiers de réserve parmi ses membres.

Le général Duseigneur devient rapidement le numéro 2 de la Cagoule remplaçant Eugène Deloncle lorsque celui-ci est absent. Georges Cachier, lieutenant-colonel de réserve et administrateur d’usine, commande l’important « 3e bureau » (opérations, instruction des recrues) chargé de préparer le coup d’état. Le 2ème bureau de la cagoule (renseignement) est en lien permanent avec le 2ème bureau de l’armée pour des informations concernant l’activité de communistes ou d’agents soviétiques ; lors du procès de la cagoule, cet organe de l’armée assumera cette relation auprès du juge d’instruction « Le docteur Martin a fourni au deuxième bureau une documentation utile et appréciée ».

Le maréchal Franchet d’Espérey, auréolé de sa gloire acquise durant la première guerre mondiale (bataille de la Marne… Commandant des armées d’Orient…), met son poids moral au service de la Cagoule auprès de financeurs potentiels comme auprès de militaires.

Le maréchal Pétain met en contact Eugène Deloncle avec le commandant Georges Loustanau-Lacau, son directeur de cabinet au Conseil supérieur de la Défense nationale qui a mis sur pied une organisation anticommuniste non officielle au sein de l’armée : le réseau Corvignolles. Il a organisé dans toute les unités des officiers « sûrs » pour repérer les communistes, les signaler à l’autorité supérieure, muter les soldats et dissoudre les cellules. D’après Loustanau-Lacau, 150 à 200 cellules auraient ainsi été dissoutes en un an et demi.

Le général Giraud, autre « gloire » de l’armée entretient des liens fraternels avec la Cagoule.

Parmi les contacts « sûrs » de la Cagoule dans l’armée se trouvent plusieurs des principaux chefs de celle-ci, auxquels elle apportera préalablement à sa tentative de coup d’état de novembre 1937 des informations :

• le général Georges du haut état-major (adjoint du généralissime Gamelin et futur commandant des armées du Nord)

• le général Dufieux, inspecteur général de l’infanterie

• le général Jeannel chef d’état-major du généralissime Gamelin

Le témoignage le plus intéressant sur les liens entre la cagoule et les autorités militaires au plus haut niveau a été apporté par le général de division Lavigne-Delville. Lors du procès de la Cagoule, il déclare avoir eu connaissance du complot de celle-ci et avoir assisté à plusieurs réunions entre celle-ci et des militaires. Il précise par exemple « Je maintiens qu’en ma compagnie, il (Eugène Deloncle) a vu les autorités militaires que j’avais tout lieu de croire mandatées implicitement ou explicitement par leurs chefs qui eux étaient des autorités militaires… Au cours de ces conversations, j’ai trouvé entre les officiers et Deloncle une confiance réciproque. J’en ai conclu qu’il les avait vus plus souvent que moi. »

7) La Cagoule aux côtés du fascisme international. Les actions subversives de la Cagoule.

Dès le début de la guerre d’Espagne, la Cagoule s’active aux côtés des franquistes : livraison d’armes, « sabotage de voies ferrées reliant la France à l’Espagne, intimidation de partisans des républicains, destruction de navires ravitaillant les antifranquistes… sabotage d’avions destinés aux républicains sur l’aérodrome de Toussus le Noble dans la nuit du 28 au 29 août 1937. »

« La Cagoule… est entièrement responsable de l’assassinat de Carlo et Nello Rosselli. Ces deux intellectuels antifascistes italiens gênaient Mussolini qui demande aux cagoulards leur élimination en échange de fusils semi-automatiques. L’opération est minutieusement préparée et exécutée le 9 juin 1937 à Bagnoles de l’Orne. L’enquête permet de déterminer avec certitude la responsabilité de l’OSARN dans le crime : d’après les aveux de Jakubiez (qui a participé à cette action), c’est Filliol qui a donné les coups mortels. »

Mis à part l’achat de fusils Schmeisser, les relations avec l’Allemagne nazie n’ont pas été prouvées jusqu’à présent. Elles furent peut-être très limitées en raison du nationalisme anti-allemand florissant à l’époque dans les milieux militaires marqués par la Première guerre mondiale.

La première action subversive de la Cagoule sur le terrain politique français se voulait un coup d’éclat : assassiner Léon Blum le 11 février 1936 ; mais l’opération rate.

La seconde réussit avec l’assassinat le 24 janvier 1937 de Dimitri Navachine, « directeur de la Banque commerciale pour l’Europe du Nord, assassiné à coups de baïonnette par Jean Filliol. Cette mort a valeur de symbole : Navachine était soviétique, communiste, franc-maçon et très lié avec le gouvernement de Front populaire. »

Enhardis, le 11 septembre 1937, les cagoulards font sauter à la bombe le siège de la Confédération Générale du Patronat Français et celui de l’Union des Industries Métallurgiques dans le but de faire accuser les communistes. Deux gardiens de la paix en faction décèdent. Qui a monté le coup ? L’Union des Enfants de Gergovie, groupe de Clermont Ferrand lié à la Cagoule, dont Pierre Michelin est chef de section. La presse de droite tonne contre syndicalistes, communistes et socialistes. Ainsi Le Temps écrit « La vérité est que la campagne marxiste des syndicalistes contre la société actuelle et contre l’ordre établi sont à l’origine de toute cette affaire… » Cependant, cette provocation n’atteint pas son but et l’affaire se retournera plus tard contre ses auteurs.

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